Cher
journal,
Bientôt
quinze ans de vie commune! Sans aucun doute la cohabitation la plus
longue et durable de ma vie. C'est fou
quand même, non? De nos jours où les relations peuvent être si
éphémères, si volatiles. Et moi en plus, je ne suis pas la
meilleure cliente de ce type de relation. Vous me connaissez bien,
vous savez que ma lucidité frôle parfois le nihilisme. Sinon,
comment expliquer que je récite du Cioran par cœur, tous les jours,
devant ma glace, histoire de rester bien éveillée dans ce beau
monde?
Quinze
ans de vie commune! Ça a commencé comme ça, une journée typique,
banale. J'étais dans des toilettes, peu importe où, et là j'ai
vécu l'expérience. Je parle mal anglais, mais là je me permets de
dire THE EXPERIENCE. Foudroyante. Une crise de cystite aigüe,
tenace, qui a décidé de s'installer dans ma vie, sans demander si
cela me convenait, sans me poser de questions. Insistante,
inexorable. Presque romantique. Oui, oui cher journal, j'essaye de me
convaincre que chacun porte sa croix (cela prouve d'ailleurs que
malgré ma lucidité légendaire je porte en moi un sacré héritage
judéo-chrétien ).
Alors,
la cystite serait-elle ma croix à moi? J'ai une peine à purger?
Peut être que dans une vie précédente j'étais, je ne sais pas
moi... un inquisiteur? Un seigneur féodal qui torturait ses vassaux?
Une femme de mauvaise vie...hum. Je me le demande en tout cas.
J'avoue être quelqu'un de relativement propre, malgré une
insinuation fallacieuse de mon ex- gynécologue. Une drôle de dame
celle-là, qui, avant même de statuer que je suis simplement victime
d'une méchante bactérie suggère sans pudeur que la cystite serait
probablement de ma faute. Comment ça de ma faute? Je prends une
douche au moins une fois par jour. Suis obligée, j'ai les cheveux un
peu gras, il me faut obligatoirement les laver tous les jours. Voilà
la preuve.
Une
autre gynécologue, largement plus pédagogue, m'a expliqué que la
probabilité d'une infection urinaire chez les messieurs est plus
faible que chez les dames. Ah, bon? Et pourriez-vous docteur
m'expliquer la cause de tel injustice pour que l'on puisse penser à
manifester? Apparemment, simple question de morphologie, car la
femme, contrairement aux hommes, a un « petit urètre »
donc plus susceptible à l'invasion des méchantes bactéries. Encore
un privilège du sexe faible.
Quinze ans de vie
commune! Quand je pense à tout ce qu'on a vécu ensemble. Une fois
j'ai été obligée de rester pendant trois heures dans les
toilettes. Je n'avais pas de médocs, j'étais au bord de la mer, au
Brésil, tu vois le genre? Paradise is here. . Sauf que in the
paradise there was no pharmacy. Logique. J'ai été obligée de fumer
un joint pour me calmer. Et je suis restée là, assise, a discuter
avec quelques amis fidèles restés auprès de moi. Surréaliste mais
vrai. Une autre fois, avec mon amoureux, on annonçait à ses parents
qu'on allait se marier. Cette fois-ci, ma cystite m'a fait un geste
d'amour. Freud pourrait sans doute expliquer ça: au moment où on
annonçait la nouvelle, plus les têtes se montrait choquées , plus
ma cystite montait en puissance. Conclusion, j'ai dû quitter la
table, j'ai pu m'échapper, jusqu'aux toilettes les plus proches
avant de finir aux urgences. Sauvée.
J'ai encore
changé de gynécologue. Dans ces moments là, je me sens un peu
comme David Banner. A chaque fois qu'il se transforme en incroyable
Hulk, il doit quitter l'endroit où il se trouve pour ne pas être
découvert. Pareil pour moi. Enfin bon, à chaque fois que j'ai une
crise de cystite et que mon gynéco n'arrive pas à la comprendre, je
le quitte. Moi et ma cystite. Quinze ans quand même. C'est fou, non?
NB: ce billet d’humeur est paru dans la rubrique Le Journal de Causette du magazine Causette numéro 8.
"Rire est la seule excuse de la vie, la grande excuse de la vie" Cioran, entretien avec Lea Vergine.
RépondreSupprimerDes bisous
Je suis contente de voir que nous partageons ce point commun ... Cioran.
RépondreSupprimerA toute !