mercredi 5 octobre 2011

Cher Journal



Cher journal,  
 
Bientôt quinze ans de vie commune! Sans aucun doute la cohabitation la plus longue et durable de ma vie. C'est fou quand même, non? De nos jours où les relations peuvent être si éphémères, si volatiles. Et moi en plus, je ne suis pas la meilleure cliente de ce type de relation. Vous me connaissez bien, vous savez que ma lucidité frôle parfois le nihilisme. Sinon, comment expliquer que je récite du Cioran par cœur, tous les jours, devant ma glace, histoire de rester bien éveillée dans ce beau monde?

Quinze ans de vie commune! Ça a commencé comme ça, une journée typique, banale. J'étais dans des toilettes, peu importe où, et là j'ai vécu l'expérience. Je parle mal anglais, mais là je me permets de dire THE EXPERIENCE. Foudroyante. Une crise de cystite aigüe, tenace, qui a décidé de s'installer dans ma vie, sans demander si cela me convenait, sans me poser de questions. Insistante, inexorable. Presque romantique. Oui, oui cher journal, j'essaye de me convaincre que chacun porte sa croix (cela prouve d'ailleurs que malgré ma lucidité légendaire je porte en moi un sacré héritage judéo-chrétien ).

Alors, la cystite serait-elle ma croix à moi? J'ai une peine à purger? Peut être que dans une vie précédente j'étais, je ne sais pas moi... un inquisiteur? Un seigneur féodal qui torturait ses vassaux? Une femme de mauvaise vie...hum. Je me le demande en tout cas. J'avoue être quelqu'un de relativement propre, malgré une insinuation fallacieuse de mon ex- gynécologue. Une drôle de dame celle-là, qui, avant même de statuer que je suis simplement victime d'une méchante bactérie suggère sans pudeur que la cystite serait probablement de ma faute. Comment ça de ma faute? Je prends une douche au moins une fois par jour. Suis obligée, j'ai les cheveux un peu gras, il me faut obligatoirement les laver tous les jours. Voilà la preuve.

Une autre gynécologue, largement plus pédagogue, m'a expliqué que la probabilité d'une infection urinaire chez les messieurs est plus faible que chez les dames. Ah, bon? Et pourriez-vous docteur m'expliquer la cause de tel injustice pour que l'on puisse penser à manifester? Apparemment, simple question de morphologie, car la femme, contrairement aux hommes, a un « petit urètre » donc plus susceptible à l'invasion des méchantes bactéries. Encore un privilège du sexe faible.

Quinze ans de vie commune! Quand je pense à tout ce qu'on a vécu ensemble. Une fois j'ai été obligée de rester pendant trois heures dans les toilettes. Je n'avais pas de médocs, j'étais au bord de la mer, au Brésil, tu vois le genre? Paradise is here. . Sauf que in the paradise there was no pharmacy. Logique. J'ai été obligée de fumer un joint pour me calmer. Et je suis restée là, assise, a discuter avec quelques amis fidèles restés auprès de moi. Surréaliste mais vrai. Une autre fois, avec mon amoureux, on annonçait à ses parents qu'on allait se marier. Cette fois-ci, ma cystite m'a fait un geste d'amour. Freud pourrait sans doute expliquer ça: au moment où on annonçait la nouvelle, plus les têtes se montrait choquées , plus ma cystite montait en puissance. Conclusion, j'ai dû quitter la table, j'ai pu m'échapper, jusqu'aux toilettes les plus proches avant de finir aux urgences. Sauvée.

J'ai encore changé de gynécologue. Dans ces moments là, je me sens un peu comme David Banner. A chaque fois qu'il se transforme en incroyable Hulk, il doit quitter l'endroit où il se trouve pour ne pas être découvert. Pareil pour moi. Enfin bon, à chaque fois que j'ai une crise de cystite et que mon gynéco n'arrive pas à la comprendre, je le quitte. Moi et ma cystite. Quinze ans quand même. C'est fou, non? 

NB: ce billet d’humeur est paru dans la rubrique Le Journal de Causette du magazine Causette numéro 8.

2 commentaires:

  1. "Rire est la seule excuse de la vie, la grande excuse de la vie" Cioran, entretien avec Lea Vergine.
    Des bisous

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  2. Je suis contente de voir que nous partageons ce point commun ... Cioran.
    A toute !

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