Adeus ano
velho (Adieu vieille année), Feliz ano novo (Heureux
nouvel an), Que tudo se realize, no ano que vai nascer (que
tout se réalise dans cette année qui va naître) Muito dinheiro
no bolso (beaucoup d'argent dans la poche), Saude pra dar e
vender (de la santé à en revendre).
Cette petite chanson
est devenue, au fil des années, une espèce d’hymne emblématique
du réveillon au Brésil. On la chante avec ferveur, histoire
d’accueillir l'année qui arrive, les bras et le cœur ouverts. Il
y a là une forme d'optimisme et de bienveillance envers la
possibilité d'une meilleure année.
J'ai toujours cru
que ça en disait long sur nous autres et notre singulière manière
de percevoir le monde. J'ouvre une petite parenthèse, pour souligner
le fait que cette réflexion n'aurait pas vu le jour sans le recul
nécessaire que ces années en France m'ont permis d'avoir. Si
aujourd'hui j'ai de plus en plus de sympathie et de tolérance envers
ma patrie, c'est grâce à ces années d'absence. On devient
infiniment plus tolérant dans l'éloignement et les choses les plus
agaçantes peuvent devenir touchantes. Aujourd'hui les télénovelas
brésiliennes ne m'inspirent plus de mépris, mais une douce saudade
et l'omniprésence du soleil au Brésil (jusque là négligée) me
manque atrocement dans la grisaille de l'hiver parisien.
Donc, cette petite
musique entamée par des millions de brésiliens se mue en une sorte
de prière dans ce moment où l'on fait nos adieux à une année
désormais immuable et où l'on en voit naître une autre, pleine des
possibilités. C'est, d'une certaine façon, un grand Welcome !
Et pour couronner
nos bonnes intentions envers la nouvelle année, on fait appel à la
bénédiction, on évoque et on célèbre un personnage très
important dans l’imaginaire des brésiliens : Iemanja.
Il s'agit simplement de La Majesté des Mers, La Dame des Océans, La
Sirène Sacrée, la Reine des Eaux Salées, La Mère de tout les
Orixas (divinités
d'origine afro-américaines),
celle qui protège les familles et les maisons.
Nous lui offrons
toutes sortes de cadeaux : de la nourriture, des miroirs, des
parfums, des bougies et surtout beaucoup de fleurs. On ne se
formalise pas trop, on dépose simplement tout ça au bord et dans la
mer. C'est une cérémonie de nature spirituelle qui est pratiquée
par les croyants et par les non-croyants (si, si, je vous assure
qu'au Brésil le concept de laïcité a aussi sa place). La tradition
fait que l'on se dirige au bord de la mer juste un peu avant minuit.
De cette façon, au moment du décompte on est très nombreux et prêt
a accueillir la nouvelle année. J'ai vécu ce rituel de nombreuses
fois mais, petite, cette grande fête prenait des allures
surréalistes et magiques. La foule, les feux d'artifice, les gens
des tous horizons, les rires, la mer qui semblait conspirer en notre
faveur en nous faisant cadeaux de puissantes vagues...
Vers minuit, on en
saute sept et chaque saut s'accompagne d'un vœu. Tout ça
entièrement habillé en blanc. Et tant pis si on est trempé, ça
fait partie du jeu.
Croyants ou pas,
toujours est-il que les gens ont bel et bien incorporé ces
traditions. L'explication m’échappe, mais je peux vous dire que
c'est assez beau, émouvant pour les plus sensibles, très fédérateur
et surtout très amusant.
Une
fois en France, en entendant tout un flot de compliment sur le
Brésil, je me dis que mon interlocuteur avait forcément passé un
réveillon là-bas. D'où tant d'impressions positives. Je cite :
« C'est un très beau pays », « Les gens sont
tellement gentils, accueillants, optimistes... »
Je
dois avouer que tant d'éloges me parurent un peu disproportionnées.
Est-ce vrai que nous
sommes comme ça ? Et par rapport à qui ? Quels sont les
critères d'analyses ? Y a-t-il des études sociologiques,
anthropologiques, ethnographiques à ce propos ?
Alors, je me suis
mise à penser à notre passé historique et social, puisque cela
détermine en partie la personnalité d'un peuple.
L’invasion du
Brésil en 1500 par les portugais, les rapports qui se sont mis en
place entre les européens et les autochtones, les années
d'esclavage - et les millions de congolais, mozambicains et angolais
kidnappés de chez eux - le métissage qui a résulté de tout cela,
les relations que nous avons développées avec les pays frontaliers,
les conflits que nous avons vécus... Notre histoire, quoi. Tout ce
qui forge l'identité d'un pays.
Je m'excuse donc si
mes conclusions paraissent simplistes, mais deux éléments de cette
Histoire me semblent significatifs. Le premier concerne les deux
Grandes Guerres. Nous avons été, si j'ose dire, relativement
épargnés par leur violence. Comparativement aux peuples européens
en tout cas. Et ça change considérablement notre rapport au monde.
Le second concerne
la religiosité, qui dans ces contrés lointaines se porte plutôt
bien. Le syncrétisme au Brésil est très présent. Nous avons
là-bas plusieurs religions qui cohabitent parfaitement. Pas question
de se disputer à propos d'un sujet si sensible. On vit ses croyances
de manière décomplexée et maintes fois on les marie à sa propre
sauce.
Inutile de dire que
l'individu qui a le droit de vivre sa religiosité à sa manière
sera infiniment plus épanouit que celui qui est contraint de la
vivre selon des dogmes imposés. Le manque de conflit (religieux) est
alors un facteur non négligeable prompt à engendrer une forme de
sérénité.
Malgré cela, le
Brésil est un pays dont le lot de misère, de corruption, de malheur
et de barbarie (qui découle de l'aberrante pauvreté de certains et
de l'immense pouvoir d'autres) rend souvent la vie de ses citoyens
assez âpre. Tous ces facteurs exercent une influence à l'échelle
de notre psychisme collectif. Heureusement que le soleil est là pour
alléger nos peines. Toujours est-il que je ne trouve pas la réponse
qui justifierait cette allégresse un peu mélancolique, cette
légèreté mystérieuse, ce je m'en foutisme brazuca.
Pourquoi avons nous cette idée subjacente que « dias melhores
virão » (des meilleurs jours viendront) ? Nous sommes le
résultat d'un improbable mélange entre l'Amérique et sa notion du
mérite et le réalisme fantastique sud-américain, où tout est
littéralement possible. Incongru, dites-vous ? Sans doute. Mais
avec un certain style, une certaine poésie, qui me fait penser au
poème d'Aragon, « C'est une chose étrange à la fin que le
monde... »