Avant
de travailler comme femme de ménage, D. a bossé dans le textile.
Elle aimait bien coudre, mais son dos n'était pas du même avis. D.,
qui était dotée d'une sagesse innée, n'était pas du genre à
dissocier le corps de l'esprit. Elle a donc fini par se plier
naturellement aux exigences de son corps.
Elle a
ainsi commencé à travailler chez madame M. alors que la fille
cadette de cette dernière devait bientôt accoucher. Depuis,
dix-sept années se sont écoulées et D. travaille toujours au même
endroit. Bien qu'elle ait arrêté ses études vers l'âge de 14 ans,
et qu'elle n'ait pas de diplôme universitaire, n'importe quel savant
pourrait jurer que D. possède un doctorat en psychologie familiale.
Elle en a vu et entendu chez sa patronne...Au fil des années elle
est devenue indispensable et inoubliable. La fille de madame M. - qui
depuis, habite de l'autre coté du globe - regrette sa présence, sa
gentillesse, son écoute et, plus que tout, sa cuisine.
* * *
Dans
l'imposant édifice résidentiel de 30 étages du centre ville, les
gardiens et gardiennes formaient une bande à part. Ils étaient
cinq : le plus jeune avait 27 ans et le doyen 74. Il y avait
chez chacun d'eux une politesse naturelle qui frôlait le snobisme.
Ils avaient un léger penchant pour les commérages, mais c'était
une déformation professionnelle. Ils n'étaient pas plus
caricaturaux que Pierre, Paul, ou Jacques, car comme disait Caetano
Veloso, « de près, personne n'est vraiment normal ».
Le plus âgé était charmant et assez élégant, les deux dames
un peu quelconques, le plus jeune d'entre eux un très bon peintre,
et le dernier un tantinet inquiétant à cause de son strabisme
particulièrement marqué. Grâce à eux la correspondance était à
jour, les copropriétaires ou locataires ne connaissaient pas des
problèmes de clefs, et quand les résidents abusaient de l’alcool,
ils savaient d’emblée que le lendemain tout les voisins seraient
au courant. L'immeuble a connu son quart d'heure de célébrité
quand l'un des comptables de la Mairie, (copropriétaire exemplaire,
soit dit en passant) a été accusée de détournement de fonds. Si
au départ, l’intérêt porté par la presse enchante nos amis
gardiens, il devient trop intrusif au bout de quelques semaines. Le
doyen décide, avec le soutien inconditionnel du syndic, d’empêcher
la presse d'accéder aux locaux. Ce n'était pas beau à voir l'homme
si distingué sortir de ses gonds. On l’appelle depuis,
l’Incroyable Monsieur Hulk.
* * *
Il y
avait ce lycée qui avait la réputation de ne jamais faire redoubler
les élèves. Ceux qui étudiaient ailleurs et qui avaient des
mauvaises notes déménageaient
avant que le problème ne soit irréversible. C'était un aveu
d'échec, bien entendu, même si ce lycée représentait dans
l’imaginaire adolescent le dernier bastion pour rebelles.
L'humiliation de faire appel à ce genre de secours était, par
conséquent, mêlée à un certain sentiment d'aventure. A son
premier jour de cours, Le Nouvel Élève fut foudroyé par une crise
de timidité aiguë. Sa classe lui faisait davantage penser à un
zoo, car il y avait quelque chose d'animal avec toute cette
testostérone et ces hormones. Il y avait aussi les cris de la foule
et les rires. La classe était composée d'une trentaine d'élèves
décomplexés et désintéressés. À l'évidence, ils ne voulaient
pas rattraper quoi que ce soit, mais simplement exister et garantir,
si possible, une certaine place dans un palmarès social difficile à
cerner. Le Nouvel Élève essayait par instinct de survie d'avoir
l'air cool et détaché quand tout à coup un pet retentit de manière
ostensible. Celui que l'on nommait Dorival fut gentiment attaqué par
ses camarades. Encore une fois, Dorival ? Mais t'as bouffé
un rat mort ou quoi? Dorival, enfin, arrête toi un peu ! »
Une réaction en chaîne s'en
suivit, les gens s'excitaient de plus en plus, et désormais,
toute la classe s'adressait à lui.
Dorival
qui avait une classe internationale malgré ses oreilles décollées,
et qui était l'incarnation même (beaucoup plus que Mitterrand) de
la force tranquille, souriait avec douceur. Il ne nia ni acquiesça
pour autant. La situation imposait un certain respect, car il faisait
face à tout ses camarades déchaînés...
Dorival
demeure, malgré les années écoulées, l'un des héros du Nouvel
Élève. Il renonça à la tentation de corriger ses oreilles
beaucoup trop décollées, lors de la vague de chirurgie esthétique
qui eut lieu dans les années 2000. Il est resté tel qu'il était
et c'est d'une classe absolue.