mardi 12 juin 2012

Expéditeur: Dani Legras, Destinataire: Cher Vous




Oh que la la vie est mal faite, il suffit de regarder autour de soi !
On n'arrête plus d'évoquer, d'anticiper, d’imaginer la catastrophe imminente, voire apocalyptique autour d'une possible disparition du livre au profit du Kindle ou de l'Ipad. Quelques intellectuels, éditeurs et lecteurs annoncent déjà l'extinction de l'objet. Des litres d'encre coulée, de salive gaspillée, de peur et d'angoisse chez les uns et les autres. Le monde littéraire tremble, mais le silence est abyssal en ce que concerne la disparition de la lettre. Je ne parle pas du genre épistolaire, car nous continuerons à lire la correspondance de ceux qui nous fascinent. En revanche, camarades, je ne vois aucune larme versée - même pas une légère nostalgie – pour celle qui a été l'un des personnages centraux des siècles précédents : la lettre.

Si, si ! Les mêmes qui ont jadis annoncé la découverte de nouveaux continents, celles qui ont nourri des amours impossibles, qui ont rapproché de distantes amitiés, qui ont attisé les rivaux ou allumé des échanges intellectuels et politiques qui ont pu nous inspirer. Avant que le télégraphe soit inventé vers 1835, la lettre était la surface, le support et le témoin même, si j'ose dire, de tous les événements qui se déployaient.
Indispensable pour le bon déroulement du monde, exercice intellectuel dans lequel certains ont excellé, rédiger une lettre pouvait être l'occasion pour celui qui dominait l'écriture de devenir narrateur, auteur et protagoniste d'une situation X dans un contexte Y. 
 
Je vous rassure cher lecteur, je ne prétends aucunement tomber dans la nostalgie facile en faisant appel au discours du « c'était mieux avant ». Je ne vais pas vous mentir en disant que je préfère envoyer des lettres à mes amis du Brésil puis attendre trois semaines pour qu'elles leur parviennent.
Et j'avoue que ma routine, comme celle de tout le monde, s'organise à peu près correctement grâce aux technologies qui nous sont disponibles. Je peux ainsi recevoir des liens envoyés par ma mère avec des photos où les miens racontent comme la vie loin de moi est intolérable. Ou encore des photos de ma fille pendant ses vacances, ou j’apprends ses « news » accompagnées de clichés parfaitement retravaillés sur Instagram.

N’empêche. Tout ça est bien beau, mais infiniment moins poétique que la correspondance échangée par Monsieur Kappus et Rainer Maria Rilke. Sans parler des 23.650 lettre d'amour envoyées au long de toute une vie entre Victor Hugo (Toto pour les intimes) et Juliette Drouet.
Vous imaginez la ferveur et le contenu des échanges épistolaires existants entre Freud et Stefan Zweig ? Sans parler des lettres historiques, de guerre, d’espionnage, et j'en passe.

Mais celui qui a le plus souffert de la disparition de la lettre ce n'étaient ni l'amitié, ni l'amour, ni la politique. C'était le facteur. Ce personnage sympathique qui, dans sa période d'or, faisait office de cupidon, pompier, ou encore infirmier, aujourd'hui se voit relégué au poste de simple passeur grâce auquel les factures et les pubs de Planet Sushi nous parviennent. Cette innocence qui entourait l’image du facteur n'est plus de notre siècle. C'est trop daté, comme un personnage de Jacques Tati qui vient nous rendre un billet écrit à la main par quelqu'un d'autre. Mais comme c'était beau, ça mérite d'être rappelé. 

 C'est pour ça, camarades, que je propose que dans chaque ville soit fait un petit monument à la mémoire du Facteur Inconnu. Ça a de la gueule, non ? Et de cette façon, peut être pourrions-nous de temps en temps, juste pour se faire plaisir, sortir le stylo à plume, prendre son temps et destiner nos plus beaux mots à quelqu'un. Pour ensuite - et c'est là où ça se corse - aller poster la lettre et attendre fiévreusement (c'est optionnel) que la réponse et le facteur arrivent le plus vite possible.