(Ce texte a été publié dans le dernier numéro de Respect Mag) |
mercredi 20 juin 2012
mardi 12 juin 2012
Expéditeur: Dani Legras, Destinataire: Cher Vous
Oh que la la vie est
mal faite, il suffit de regarder autour de soi !
On n'arrête plus
d'évoquer, d'anticiper, d’imaginer la catastrophe imminente, voire
apocalyptique autour d'une possible disparition du livre au profit du
Kindle ou de l'Ipad. Quelques intellectuels, éditeurs et lecteurs
annoncent déjà l'extinction de l'objet. Des litres d'encre coulée,
de salive gaspillée, de peur et d'angoisse chez les uns et les
autres. Le monde littéraire tremble, mais le silence est abyssal en
ce que concerne la disparition de la lettre. Je ne parle pas du genre
épistolaire, car nous continuerons à lire la correspondance de ceux
qui nous fascinent. En revanche, camarades, je ne vois aucune larme
versée - même pas une légère nostalgie – pour
celle qui a été l'un des personnages centraux des
siècles précédents : la lettre.
Si, si ! Les
mêmes qui ont jadis annoncé la découverte de nouveaux continents,
celles qui ont nourri des amours impossibles, qui ont rapproché de
distantes amitiés, qui ont attisé les rivaux ou allumé des
échanges intellectuels et politiques qui ont pu nous inspirer. Avant
que le télégraphe soit inventé
vers 1835, la lettre était la surface, le support et le témoin
même, si j'ose dire, de tous les événements qui se déployaient.
Indispensable
pour le bon déroulement du monde, exercice intellectuel dans lequel
certains ont excellé, rédiger une lettre pouvait être l'occasion
pour celui qui dominait l'écriture de devenir narrateur, auteur et
protagoniste d'une situation X dans un contexte Y.
Je
vous rassure cher lecteur, je ne prétends aucunement tomber dans la
nostalgie facile en faisant appel au discours du « c'était
mieux avant ».
Je ne vais pas vous mentir en disant que je préfère envoyer des
lettres à mes amis du Brésil puis attendre trois semaines pour
qu'elles leur parviennent.
Et
j'avoue que ma routine, comme celle de tout le monde, s'organise à
peu près correctement grâce aux technologies qui nous sont
disponibles. Je peux ainsi recevoir des liens envoyés par ma mère
avec des photos où les miens racontent comme la vie loin de moi est
intolérable. Ou encore des photos de ma fille pendant ses vacances,
ou j’apprends ses « news »
accompagnées de clichés parfaitement retravaillés sur Instagram.
N’empêche.
Tout ça est bien beau, mais infiniment moins poétique que la
correspondance échangée par Monsieur Kappus et Rainer Maria Rilke.
Sans parler des 23.650 lettre d'amour envoyées
au long de
toute une vie entre Victor Hugo (Toto pour les intimes) et Juliette
Drouet.
Vous imaginez la
ferveur et le contenu des échanges épistolaires existants entre
Freud et Stefan Zweig ? Sans parler des lettres historiques, de
guerre, d’espionnage, et j'en passe.
Mais celui qui a le
plus souffert de la disparition de la lettre ce n'étaient ni
l'amitié, ni l'amour, ni la politique. C'était le facteur. Ce
personnage sympathique qui, dans sa période d'or, faisait office de
cupidon, pompier, ou encore infirmier, aujourd'hui se voit relégué
au poste de simple passeur grâce auquel les factures et les pubs de
Planet Sushi nous parviennent. Cette innocence qui entourait l’image
du facteur n'est plus de notre siècle. C'est trop daté, comme un
personnage de Jacques Tati qui vient nous rendre un billet écrit à
la main par quelqu'un d'autre. Mais comme c'était beau, ça mérite
d'être rappelé.
C'est
pour ça, camarades, que je propose que dans chaque ville soit fait
un petit monument à la mémoire du Facteur Inconnu. Ça a de la
gueule, non ? Et de cette façon, peut être pourrions-nous de
temps en temps, juste pour se faire plaisir, sortir le stylo à
plume, prendre son temps et destiner nos plus beaux mots à
quelqu'un. Pour ensuite - et c'est là où ça se corse - aller
poster la lettre et attendre fiévreusement (c'est optionnel) que la
réponse et le facteur arrivent le plus vite possible.
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