mardi 27 novembre 2012

Partir




Depuis quand partir est devenu un projet ? À quel moment et dans quelles circonstances le rêve d'aller vers d'autres contrées a vu le jour ? Pourquoi l'exode devient chez les uns une nécessité absolue, quand chez les autres cela s'avère une punition ? 
 
Ces questions font depuis bientôt dix ans partie de ma vie, puisque depuis presque une décennie je suis devenue une immigrante ou une étrangère. Quand on vit dans un autre pays, lorsqu'une conversation s'engage, il y a obligatoirement La question qui nous est posée : « pourquoi êtes vous parti(e) ? ». Au fil des années j'ai remarqué, que les réponses esquissées sont toujours différentes les unes des autres. Voici donc un essai de réponse un peu plus précise. 
 
Quand j'avais quinze ans - et aucun projet concernant mon avenir - par coquetterie, je me suis inscrite au cour de français. On étudiait la vie d'un personnage, un jeune homme qui aimait se balader à vélo au Bois de Boulogne. Sympathique et naïf, il déboulait à Paris prêt à découvrir la ville Lumière et ses habitant mythiques. Jean Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Albert Camus, François Truffaut, Catherine Deneuve...Ce personnage m'a sacrément marquée, car il avait le charme du vagabond qui vivait et se laissait vivre.

J'ai donc fait deux ans de cours de langue française, trois heures par semaine. Mon professeur était jeune, charmant et habité par l'amour de cette langue. Dans mon imaginaire il représentait l'image que je me faisais de l'homme français : intello (à cause de son col roulé), drôlement intelligent, et un brin mélancolique. Je nageais dans dans la caricature. 
 
J'ai peu appris de la langue, car j'étais ce qu'on appelle joliment un cancre. En revanche, l'ambiance sérieuse et extravagante me plaisait davantage. Pourquoi extravagante ? Parce que pour un cancre, s'inscrire à un cours de langue extra-scolaire est forcément à la limite du bon sens. 
 
Mais je m'égare ...

Douze ans plus tard, on m'a offert un joli cadeau pour célébrer la fin de mes études universitaires. Par pur hasard, ou le destin (qui sait ?), j'avais une grande amie qui habitait à Paris. Le choix du voyage a ainsi été tranché. Je ne me suis pas renseignée, je n'ai pas eu la moindre tentation d'acheter le Routard, je n'ai pas révisé mes connaissances de la langue. J'ai vécu cet événement comme si c'était une évidence. Mon cadeau comprenait l'équivalent d'un séjour de trois mois à Paris (un cancre qui réussit à finir ses études universitaires doit être largement récompensé). J'ai vécu ces quelques jours de préparation du voyage avec un tel détachement, que l'on aurait alors pu croire que cela m'intéressait peu au prou. 
 
En vérité, ce soi-disant détachement était le déguisement d'un sentiment (indécent) de réussite. Il ne fallait pas que mon entourage s'aperçoive que j'étais absolument ravie de les quitter.
Dans le taxi parisien qui me conduisait dans le 20ème, chez mon hôte, la conclusion que j'avais franchi le seuil d'une existence pour en vivre une autre à Paris avait l'air d'une libération. Non pas que ma vie précédente avait été désagréable ou dépourvue d’intérêt. Elle était juste bougrement prévisible. Je connaissais tous les codes, les limitations, les possibilités. Pour mes amis et pour moi, partir était le luxe absolu. On voulait voir ce qu'il y avait de l'autre côté du miroir. 

On était tous des Holden Caulfield rêvant d'une vie d'aventures et de débauche. Devenir le personnage d'un roman incroyable écrit par soi, faire confiance à la vie et, pourquoi pas, à la chance. Vivre l'histoire racontée dans une chanson. Faire le deuil d'un cocon aimé, mais trop connu et rangé. J'ai eu immédiatement cette ville et les gens qui en font partie dans la peau. Malgré moi, je n’arrêtai pas de comparer, de confronter les choses que je reconnaissais et celles que je découvrais. Je me répétais comme dans un mantra quelle chance j'avais d'ignorer tout ça! J'avais tout a dépister, à dénuder. 

J'ai adoré les serveurs grognons, les rames de métro ou je pouvais entendre des langues autrefois insoupçonnables. Le mot cosmopolite me paraissait trop faible pour décrire la sensation d'être au centre du monde. Je me suis laissée convaincre par tout ce que je voyais que j'étais là ou il fallait être. C'est vraiment agréable de s'estimer heureuse, bénie par les dieux. De se dire que l'on est exactement où on veut être, dans son paradis émotionnel. Et bla, bla, bla...

Tout était projection, mais les sentiments de satisfaction étaient fort réel. J'ai découvert que l'on pouvait aimer un endroit comme on aime quelqu'un. Je me suis dit que j'allais me reprogrammer et redevenir celle que j'aurais voulu tant être. Je ne me suis jamais raconté tant de belles histoires. Il y avait chez moi une note méconnue jusqu'alors, qui a sonné, et cette note a libéré quelque chose qui me suffoquait. La beauté de cette ville, la même beauté tant négligée par ceux qui y habitent. Voilà tout. 
 
Hélas, j'ai l'impression que dans ce monde ô combien moraliste, ce serait immoral d'affirmer que oui, on peut changer de continent, de pays, de ville, d'entourage, en laissant derrière soi famille, amis et plans de carrière simplement pour la beauté d'une ville. Parce qu'on a élu un ville endroit de prédilection. Et parce que le monde devrait être comme ça, les portes et les fenêtres grandes ouvertes...mais là je m'égare définitivement.

jeudi 25 octobre 2012

De près, personne n'est vraiment normal


Avant de travailler comme femme de ménage, D. a bossé dans le textile. Elle aimait bien coudre, mais son dos n'était pas du même avis. D., qui était dotée d'une sagesse innée, n'était pas du genre à dissocier le corps de l'esprit. Elle a donc fini par se plier naturellement aux exigences de son corps.
Elle a ainsi commencé à travailler chez madame M. alors que la fille cadette de cette dernière devait bientôt accoucher. Depuis, dix-sept années se sont écoulées et D. travaille toujours au même endroit. Bien qu'elle ait arrêté ses études vers l'âge de 14 ans, et qu'elle n'ait pas de diplôme universitaire, n'importe quel savant pourrait jurer que D. possède un doctorat en psychologie familiale. Elle en a vu et entendu chez sa patronne...Au fil des années elle est devenue indispensable et inoubliable. La fille de madame M. - qui depuis, habite de l'autre coté du globe - regrette sa présence, sa gentillesse, son écoute et, plus que tout, sa cuisine.

* * *

Dans l'imposant édifice résidentiel de 30 étages du centre ville, les gardiens et gardiennes formaient une bande à part. Ils étaient cinq : le plus jeune avait 27 ans et le doyen 74. Il y avait chez chacun d'eux une politesse naturelle qui frôlait le snobisme. Ils avaient un léger penchant pour les commérages, mais c'était une déformation professionnelle. Ils n'étaient pas plus caricaturaux que Pierre, Paul, ou Jacques, car comme disait Caetano Veloso, « de près, personne n'est vraiment normal ». Le plus âgé était charmant et assez élégant, les deux dames un peu quelconques, le plus jeune d'entre eux un très bon peintre, et le dernier un tantinet inquiétant à cause de son strabisme particulièrement marqué. Grâce à eux la correspondance était à jour, les copropriétaires ou locataires ne connaissaient pas des problèmes de clefs, et quand les résidents abusaient de l’alcool, ils savaient d’emblée que le lendemain tout les voisins seraient au courant. L'immeuble a connu son quart d'heure de célébrité quand l'un des comptables de la Mairie, (copropriétaire exemplaire, soit dit en passant) a été accusée de détournement de fonds. Si au départ, l’intérêt porté par la presse enchante nos amis gardiens, il devient trop intrusif au bout de quelques semaines. Le doyen décide, avec le soutien inconditionnel du syndic, d’empêcher la presse d'accéder aux locaux. Ce n'était pas beau à voir l'homme si distingué sortir de ses gonds. On l’appelle depuis, l’Incroyable Monsieur Hulk. 

* * *

Il y avait ce lycée qui avait la réputation de ne jamais faire redoubler les élèves. Ceux qui étudiaient ailleurs et qui avaient des mauvaises notes déménageaient avant que le problème ne soit irréversible. C'était un aveu d'échec, bien entendu, même si ce lycée représentait dans l’imaginaire adolescent le dernier bastion pour rebelles. L'humiliation de faire appel à ce genre de secours était, par conséquent, mêlée à un certain sentiment d'aventure. A son premier jour de cours, Le Nouvel Élève fut foudroyé par une crise de timidité aiguë. Sa classe lui faisait davantage penser à un zoo, car il y avait quelque chose d'animal avec toute cette testostérone et ces hormones. Il y avait aussi les cris de la foule et les rires. La classe était composée d'une trentaine d'élèves décomplexés et désintéressés. À l'évidence, ils ne voulaient pas rattraper quoi que ce soit, mais simplement exister et garantir, si possible, une certaine place dans un palmarès social difficile à cerner. Le Nouvel Élève essayait par instinct de survie d'avoir l'air cool et détaché quand tout à coup un pet retentit de manière ostensible. Celui que l'on nommait Dorival fut gentiment attaqué par ses camarades. Encore une fois, Dorival ? Mais t'as bouffé un rat mort ou quoi? Dorival, enfin, arrête toi un peu ! » Une réaction en chaîne s'en suivit, les gens s'excitaient de plus en plus, et désormais, toute la classe s'adressait à lui.
Dorival qui avait une classe internationale malgré ses oreilles décollées, et qui était l'incarnation même (beaucoup plus que Mitterrand) de la force tranquille, souriait avec douceur. Il ne nia ni acquiesça pour autant. La situation imposait un certain respect, car il faisait face à tout ses camarades déchaînés...
Dorival demeure, malgré les années écoulées, l'un des héros du Nouvel Élève. Il renonça à la tentation de corriger ses oreilles beaucoup trop décollées, lors de la vague de chirurgie esthétique qui eut lieu dans les années 2000. Il est resté tel qu'il était et c'est d'une classe absolue.

lundi 24 septembre 2012

Éloge de la saudade 





Dans les multiples langues employées par l'homme (les linguistes sont d'accord sur le nombre 6000) il existe des mots magiques qui traduisent avec maestria des sentiments, des situations, des images, des attitudes qui peuvent être très difficiles à décrire. 

Et il y a les chasseurs des dits mots. De drôles d’oiseaux qui aiment avec fidélité aller fouiller dans toute une panoplie littéraire le mot exact, parfait, rond. Et, si possible, poétique.
Si toutefois j'adhère à une telle quête, j'admets que je n'arrive que rarement à me sortir d'affaire honorablement. Mais il y en a qui y parviennent très bien. Pire, il y a ceux qui arrivent à le faire en jonglant dans plusieurs langues. Ainsi, pour s'exprimer de manière idéale, on aurait le droit de commencer une phrase en français et la finir en néo zélandais. On passerait d'un swing à l'autre, de la constellation verbale anglaise à la française et ainsi de suite (quoique pour une telle prouesse il faudrait d'abord être sacrément polyglotte. Déjà qu'on a un mal fou à parler correctement sa propre langue...) Mais (et il y a presque toujours un mais) si on cherche bien, on peut presque toujours trouver un mot parfait dans une seule et même langue. L'un d'entre eux est saudade. C'est un mot infini. 

Esthétiquement et phonétiquement sublime. Mais c'est dans sa puissance émotive qu'il excelle. Il peut donc être doux, suave, moelleux et incisif, profond, cruel, fatal. Il peut demeurer calme, sous contrôle, mais une fois que la saudade se déchaîne, elle peut faire de ravages. La saudade est une force de la nature, telle un volcan, un rez de marée, une tornade. Elle ne désigne pas seulement le manque de quelqu'un, de quelque chose ou d'un endroit. Elle est d'un tout autre ordre. C'est un contentement d'être triste dans le manque, sans en être pour autant masochiste.

 La saudade a été toujours conçue par et dans la beauté. Elle peut naître dans ces moments où l'on se reconnaît en quelque chose, ou en quelqu'un. On peut la sentir proche quand on lit Rilke ou Pessoa pour la première fois. Elle peut aussi se manifester lors d'un premier voyage au Vieux Monde. Ou quand on se rend compte de la puissance de la nature et on essaye de sauver une libellule minuscule (qu'on confond d'ailleurs avec un frelon) qui va se noyer dans un lagon, car elle a son aile cassée. Si la saudade était un genre musical elle ne serait pas le fado mais la bossa nova, car sa mélancolie est solaire avant tout. C'est n'est pas simplement de l'identification, c'est aussi de l’appartenance. Et on en pleure, mais ce n'est pas si désespérant, c'est juste déchirant de beauté. 

La saudade c'est aussi quand on souhaite de toutes nos forces devenir le personnage d'un livre que nous aimons et qui a été, (c'est certain) écrit pour nous. Où quand on est jeune ado, dans la salle de cinéma, la magie s’opère et en sortant de la séance on est fou amoureux du personnage principal. C'est aussi quand on tombe en amour, et malgré toute la radicalité sans concession de ce sentiment, on sait qu'on se décevra mutuellement, mais que pour rien au monde on s'en passerait. Quand on quitte un pays parce qu'on a envie d'ailleurs, qu'il ne nous manque absolument pas à un tel point que ça frôle l’indifférence, jusqu'au moment ou dans une supérette déprimante on entend une chanson qui nous fait plier, parce que nous venons de comprendre que l'on vient de quelque part quand même et que ce n'est pas négligeable. 

Et on revoit des visages aimés auparavant, on sent des parfums jusque là oubliés, et la saudade se met en route, vorace et avec une efficacité à toute épreuve elle fait son travail. Elle nous raconte beaucoup sur nous même, et il n'est jamais question d'une vague nostalgie sépia, ce ne sont pas d'ailleurs des souvenirs, c'est sont des retrouvailles avec soit même. Et comme il s'agit d'un mot si sophistiqué, il est aussi paradoxal, car il est parfait pour décrire un sentiment, indescriptible, inénarrable, infini.

mardi 12 juin 2012

Expéditeur: Dani Legras, Destinataire: Cher Vous




Oh que la la vie est mal faite, il suffit de regarder autour de soi !
On n'arrête plus d'évoquer, d'anticiper, d’imaginer la catastrophe imminente, voire apocalyptique autour d'une possible disparition du livre au profit du Kindle ou de l'Ipad. Quelques intellectuels, éditeurs et lecteurs annoncent déjà l'extinction de l'objet. Des litres d'encre coulée, de salive gaspillée, de peur et d'angoisse chez les uns et les autres. Le monde littéraire tremble, mais le silence est abyssal en ce que concerne la disparition de la lettre. Je ne parle pas du genre épistolaire, car nous continuerons à lire la correspondance de ceux qui nous fascinent. En revanche, camarades, je ne vois aucune larme versée - même pas une légère nostalgie – pour celle qui a été l'un des personnages centraux des siècles précédents : la lettre.

Si, si ! Les mêmes qui ont jadis annoncé la découverte de nouveaux continents, celles qui ont nourri des amours impossibles, qui ont rapproché de distantes amitiés, qui ont attisé les rivaux ou allumé des échanges intellectuels et politiques qui ont pu nous inspirer. Avant que le télégraphe soit inventé vers 1835, la lettre était la surface, le support et le témoin même, si j'ose dire, de tous les événements qui se déployaient.
Indispensable pour le bon déroulement du monde, exercice intellectuel dans lequel certains ont excellé, rédiger une lettre pouvait être l'occasion pour celui qui dominait l'écriture de devenir narrateur, auteur et protagoniste d'une situation X dans un contexte Y. 
 
Je vous rassure cher lecteur, je ne prétends aucunement tomber dans la nostalgie facile en faisant appel au discours du « c'était mieux avant ». Je ne vais pas vous mentir en disant que je préfère envoyer des lettres à mes amis du Brésil puis attendre trois semaines pour qu'elles leur parviennent.
Et j'avoue que ma routine, comme celle de tout le monde, s'organise à peu près correctement grâce aux technologies qui nous sont disponibles. Je peux ainsi recevoir des liens envoyés par ma mère avec des photos où les miens racontent comme la vie loin de moi est intolérable. Ou encore des photos de ma fille pendant ses vacances, ou j’apprends ses « news » accompagnées de clichés parfaitement retravaillés sur Instagram.

N’empêche. Tout ça est bien beau, mais infiniment moins poétique que la correspondance échangée par Monsieur Kappus et Rainer Maria Rilke. Sans parler des 23.650 lettre d'amour envoyées au long de toute une vie entre Victor Hugo (Toto pour les intimes) et Juliette Drouet.
Vous imaginez la ferveur et le contenu des échanges épistolaires existants entre Freud et Stefan Zweig ? Sans parler des lettres historiques, de guerre, d’espionnage, et j'en passe.

Mais celui qui a le plus souffert de la disparition de la lettre ce n'étaient ni l'amitié, ni l'amour, ni la politique. C'était le facteur. Ce personnage sympathique qui, dans sa période d'or, faisait office de cupidon, pompier, ou encore infirmier, aujourd'hui se voit relégué au poste de simple passeur grâce auquel les factures et les pubs de Planet Sushi nous parviennent. Cette innocence qui entourait l’image du facteur n'est plus de notre siècle. C'est trop daté, comme un personnage de Jacques Tati qui vient nous rendre un billet écrit à la main par quelqu'un d'autre. Mais comme c'était beau, ça mérite d'être rappelé. 

 C'est pour ça, camarades, que je propose que dans chaque ville soit fait un petit monument à la mémoire du Facteur Inconnu. Ça a de la gueule, non ? Et de cette façon, peut être pourrions-nous de temps en temps, juste pour se faire plaisir, sortir le stylo à plume, prendre son temps et destiner nos plus beaux mots à quelqu'un. Pour ensuite - et c'est là où ça se corse - aller poster la lettre et attendre fiévreusement (c'est optionnel) que la réponse et le facteur arrivent le plus vite possible.

mercredi 4 avril 2012

Quelques considérations (encore et encore) à propos du foot!




Ah, le football ! Etérnel sujet de conversation. Quand je pense que pendant longtemps la brésilienne que je suis restait de marbre face au sort de notre Seleção et de ses héros. Car, tous les dimanche soir, le foot s'invitait à la maison, avec les sempiternels matchs de championnat, les buts, les acrobaties des joueurs. Et l'enfant que j'étais ne pouvait pas s'empêcher de faire l'étrange association entre la fin du week-end, le football et le lundi - haï de tous.

Jusqu'au jour où une espèce de magie s'est operée en moi. Alors, pour la première fois, j'ai ressenti cet élan qui serre le cœur de chaque supporteur, qui nous donne la sensation d'être plus grands, plus nobles et plus forts. C'était pendant la coupe du monde 82, nous étions vus comme les prochains champions du monde. Nos prestations était si belles à voir. Surtout celle contre l'Argentine de Maradona. L'ambiance au Brésil était impossible à décrire. L'enthousiasme était palpable. Enfin... ça c'était jusqu'au moment où tous nos espoirs soient  balayés par l'Italie. L'Italie qui pourtant, cette année là, n'avait aucune grâce, aucune poésie. C'était mon premier grand chagrin sportif (sans compter bien entendu l'accident qui à tué Ayrton Senna).

Au Brésil, essayer de comprendre la passion provoquée par le football est, elle aussi, une passion nationale. Un exercice de style.  Des poètes, des musiciens, des spécialistes, des artistes se sont aventurés sur ce terrain. On raconte l'amour que l'on ressent quand il est question de la Coupe du Monde et que pour la enième fois la Seleçao est  perçue comme favorite. On raconte que cette fois-ci (oh, là, là) on a un bon technicien, on maitrise la situation, nous avons les meilleurs joueurs, le plus beau style du monde, le swing, la gouaille et puis Dieu est brésilien, c'est connu.

C'est certes grotesque, mais aussi touchant de voir à quel point on essaye de se rassurer, car pour une fois, nous sommes vraiment fiers d'être brésiliens. Nous qui avons dans notre ADN l'amour propre si petit et le syndrome du pays de l'avenir (« le jour viendra où nous serons enfin une grande nation »), nous qui comptabilisons les plus grands craques de l'histoire du football : Heleno de Freitas, Garrincha, Pelé, Tostao, Zico, Socrates, Rai, Ronaldo(s)... la liste est longue.

Au fil des années, des coupes du mondes, des matchs arrosés à la bière et des churrascos, j'ai compris l'évidence, celle qui saute vraiment aux yeux. Il ne s'agit pas de football, ni de ballon, ni de technique. Il s'agit d'être bon dans un domaine, plus que ça même... d'être BEAU. Le football brésilien se prend quelque part pour une sorte d'illuminé chargé d'apporter un peu de beauté dans ce vaste monde. La beauté du geste, de la passe, de la fidelité des supporteurs, des matchs légendaires qui sont racontés de génération en génération. La mythologie du football a été crée pour nous rendre moins misérables, plus honorables. Voilà de quoi est fait (entre autres choses mois gracieuses) le football brésilien. Et si je me laisse emporter comme ça, c'est simplement parce que je suis une supportrice brésilienne lambda ! Ça fait aussi partie de notre ADN.


mardi 10 janvier 2012

Vaclav Havel

 
 
Nous étions à Prague juste avant le réveillon. La ville était encore habillée pour les fêtes de fin d'année et les divers marchés de Noël étaient au rendez-vous. Il y avait dans l'air des parfums de vin chaud, de saucisse et de spécialités tchèques. Il y avait également des hordes de touriste, qui comme nous étaient visiblement contents de visiter cette belle ville et légèrement agacés de devoir la partager avec d'autres personnes. 

Mais dans le brouhaha rempli de cette excitation propre aux fêtes de fin d'année , il y avait aussi la forte présence d'un homme qui venait pourtant de disparaître:Vaclav Havel.
Je me suis souvenue du papier que j'avais lu dans Le Monde, quelques semaines auparavant. Un texte qui évoquait son parcours et ses futurs projets de dramaturge.

A proximité des places, des églises et de certains monuments historiques, on trouvait des milliers des bougies, des fleurs, des petits mots, des cadeaux déposés en hommage à l'ancien président.
La surprise c'est que les pragois semblaient vraiment en deuil. Il ne s'agissait pas que des formalités habituelles. Il y avait pour ainsi dire, une atmosphère d'intimité dans l'air, comme si cet homme était proche des gens. Je me suis demandée si pendant toutes ses années à la tête du pays (de 1989 jusqu'à la fin de son mandat en 2003), Havel avait était paternaliste envers ses compatriotes. Je n'ai pas eu de réponse à cette question. Cependant, on connaît la trajectoire politique de Vaclav Havel et son talent littéraire (il fut l'auteur de 19 pièces de théâtre et de plusieurs essais). 
 
On peut se pencher studieusement sur les critiques qui lui ont été faites, analyser rétrospectivement ses fautes et ses réussites, mais apparemment on ne pourra pas lui enlever l'estime profonde des ses concitoyens. J’insiste sur ce point là: ce que l'on voyait un peu partout à Prague ce n'était pas simplement du respect envers la mémoire d'un homme d'état. Les regard croisés étaient tendres et amicaux. C'était en vérité le plus bel hommage, dont je peux témoigner, à un politicien.

Le parallèle entre l'ambiance posthume à Prague et celle des obsèques du dirigeant nord-coréen Kim Jong-Il montre bien l'ampleur des antagonismes de ce bas-monde.
Je n'ose pas en tirer de conclusion, mais je souhaite comme Stéphane Hessel, une insurrection pacifique, une prise de conscience dans ce moment où l'urgence du changement se fait plus pressente que jamais. Peut être était-ce justement là l’honneur de Vaclav Havel, son désir d'humanité. Celui d'en finir avec la tyrannie et la domination. 

« N'est-il pas vrai que pour chaque citoyen- et doublement pour les hommes politiques – que l'essentiel est et devrait être finalement que la vie soit plus belle, plus intéressante, plus lumineuse et plus supportable ? » Vaclav Havel (Méditations d’été)