mercredi 16 janvier 2013

C'est une chose étrange à la fin que le monde


Adeus ano velho (Adieu vieille année), Feliz ano novo (Heureux nouvel an), Que tudo se realize, no ano que vai nascer (que tout se réalise dans cette année qui va naître) Muito dinheiro no bolso (beaucoup d'argent dans la poche), Saude pra dar e vender (de la santé à en revendre).

Cette petite chanson est devenue, au fil des années, une espèce d’hymne emblématique du réveillon au Brésil. On la chante avec ferveur, histoire d’accueillir l'année qui arrive, les bras et le cœur ouverts. Il y a là une forme d'optimisme et de bienveillance envers la possibilité d'une meilleure année. 

J'ai toujours cru que ça en disait long sur nous autres et notre singulière manière de percevoir le monde. J'ouvre une petite parenthèse, pour souligner le fait que cette réflexion n'aurait pas vu le jour sans le recul nécessaire que ces années en France m'ont permis d'avoir. Si aujourd'hui j'ai de plus en plus de sympathie et de tolérance envers ma patrie, c'est grâce à ces années d'absence. On devient infiniment plus tolérant dans l'éloignement et les choses les plus agaçantes peuvent devenir touchantes. Aujourd'hui les télénovelas brésiliennes ne m'inspirent plus de mépris, mais une douce saudade et l'omniprésence du soleil au Brésil (jusque là négligée) me manque atrocement dans la grisaille de l'hiver parisien. 

Donc, cette petite musique entamée par des millions de brésiliens se mue en une sorte de prière dans ce moment où l'on fait nos adieux à une année désormais immuable et où l'on en voit naître une autre, pleine des possibilités. C'est, d'une certaine façon, un grand Welcome !
Et pour couronner nos bonnes intentions envers la nouvelle année, on fait appel à la bénédiction, on évoque et on célèbre un personnage très important dans l’imaginaire des brésiliens : Iemanja. Il s'agit simplement de La Majesté des Mers, La Dame des Océans, La Sirène Sacrée, la Reine des Eaux Salées, La Mère de tout les Orixas (divinités d'origine afro-américaines), celle qui protège les familles et les maisons. 

Nous lui offrons toutes sortes de cadeaux : de la nourriture, des miroirs, des parfums, des bougies et surtout beaucoup de fleurs. On ne se formalise pas trop, on dépose simplement tout ça au bord et dans la mer. C'est une cérémonie de nature spirituelle qui est pratiquée par les croyants et par les non-croyants (si, si, je vous assure qu'au Brésil le concept de laïcité a aussi sa place). La tradition fait que l'on se dirige au bord de la mer juste un peu avant minuit. De cette façon, au moment du décompte on est très nombreux et prêt a accueillir la nouvelle année. J'ai vécu ce rituel de nombreuses fois mais, petite, cette grande fête prenait des allures surréalistes et magiques. La foule, les feux d'artifice, les gens des tous horizons, les rires, la mer qui semblait conspirer en notre faveur en nous faisant cadeaux de puissantes vagues...
Vers minuit, on en saute sept et chaque saut s'accompagne d'un vœu. Tout ça entièrement habillé en blanc. Et tant pis si on est trempé, ça fait partie du jeu. 

Croyants ou pas, toujours est-il que les gens ont bel et bien incorporé ces traditions. L'explication m’échappe, mais je peux vous dire que c'est assez beau, émouvant pour les plus sensibles, très fédérateur et surtout très amusant.

Une fois en France, en entendant tout un flot de compliment sur le Brésil, je me dis que mon interlocuteur avait forcément passé un réveillon là-bas. D'où tant d'impressions positives. Je cite : « C'est un très beau pays », « Les gens sont tellement gentils, accueillants, optimistes... »
Je dois avouer que tant d'éloges me parurent un peu disproportionnées. 

Est-ce vrai que nous sommes comme ça ? Et par rapport à qui ? Quels sont les critères d'analyses ? Y a-t-il des études sociologiques, anthropologiques, ethnographiques à ce propos ?
Alors, je me suis mise à penser à notre passé historique et social, puisque cela détermine en partie la personnalité d'un peuple.

L’invasion du Brésil en 1500 par les portugais, les rapports qui se sont mis en place entre les européens et les autochtones, les années d'esclavage - et les millions de congolais, mozambicains et angolais kidnappés de chez eux - le métissage qui a résulté de tout cela, les relations que nous avons développées avec les pays frontaliers, les conflits que nous avons vécus... Notre histoire, quoi. Tout ce qui forge l'identité d'un pays.
Je m'excuse donc si mes conclusions paraissent simplistes, mais deux éléments de cette Histoire me semblent significatifs. Le premier concerne les deux Grandes Guerres. Nous avons été, si j'ose dire, relativement épargnés par leur violence. Comparativement aux peuples européens en tout cas. Et ça change considérablement notre rapport au monde. 

Le second concerne la religiosité, qui dans ces contrés lointaines se porte plutôt bien. Le syncrétisme au Brésil est très présent. Nous avons là-bas plusieurs religions qui cohabitent parfaitement. Pas question de se disputer à propos d'un sujet si sensible. On vit ses croyances de manière décomplexée et maintes fois on les marie à sa propre sauce.
Inutile de dire que l'individu qui a le droit de vivre sa religiosité à sa manière sera infiniment plus épanouit que celui qui est contraint de la vivre selon des dogmes imposés. Le manque de conflit (religieux) est alors un facteur non négligeable prompt à engendrer une forme de sérénité. 

Malgré cela, le Brésil est un pays dont le lot de misère, de corruption, de malheur et de barbarie (qui découle de l'aberrante pauvreté de certains et de l'immense pouvoir d'autres) rend souvent la vie de ses citoyens assez âpre. Tous ces facteurs exercent une influence à l'échelle de notre psychisme collectif. Heureusement que le soleil est là pour alléger nos peines. Toujours est-il que je ne trouve pas la réponse qui justifierait cette allégresse un peu mélancolique, cette légèreté mystérieuse, ce je m'en foutisme brazuca. Pourquoi avons nous cette idée subjacente que « dias melhores virão » (des meilleurs jours viendront) ? Nous sommes le résultat d'un improbable mélange entre l'Amérique et sa notion du mérite et le réalisme fantastique sud-américain, où tout est littéralement possible. Incongru, dites-vous ? Sans doute. Mais avec un certain style, une certaine poésie, qui me fait penser au poème d'Aragon, « C'est une chose étrange à la fin que le monde... »

mardi 27 novembre 2012

Partir




Depuis quand partir est devenu un projet ? À quel moment et dans quelles circonstances le rêve d'aller vers d'autres contrées a vu le jour ? Pourquoi l'exode devient chez les uns une nécessité absolue, quand chez les autres cela s'avère une punition ? 
 
Ces questions font depuis bientôt dix ans partie de ma vie, puisque depuis presque une décennie je suis devenue une immigrante ou une étrangère. Quand on vit dans un autre pays, lorsqu'une conversation s'engage, il y a obligatoirement La question qui nous est posée : « pourquoi êtes vous parti(e) ? ». Au fil des années j'ai remarqué, que les réponses esquissées sont toujours différentes les unes des autres. Voici donc un essai de réponse un peu plus précise. 
 
Quand j'avais quinze ans - et aucun projet concernant mon avenir - par coquetterie, je me suis inscrite au cour de français. On étudiait la vie d'un personnage, un jeune homme qui aimait se balader à vélo au Bois de Boulogne. Sympathique et naïf, il déboulait à Paris prêt à découvrir la ville Lumière et ses habitant mythiques. Jean Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Albert Camus, François Truffaut, Catherine Deneuve...Ce personnage m'a sacrément marquée, car il avait le charme du vagabond qui vivait et se laissait vivre.

J'ai donc fait deux ans de cours de langue française, trois heures par semaine. Mon professeur était jeune, charmant et habité par l'amour de cette langue. Dans mon imaginaire il représentait l'image que je me faisais de l'homme français : intello (à cause de son col roulé), drôlement intelligent, et un brin mélancolique. Je nageais dans dans la caricature. 
 
J'ai peu appris de la langue, car j'étais ce qu'on appelle joliment un cancre. En revanche, l'ambiance sérieuse et extravagante me plaisait davantage. Pourquoi extravagante ? Parce que pour un cancre, s'inscrire à un cours de langue extra-scolaire est forcément à la limite du bon sens. 
 
Mais je m'égare ...

Douze ans plus tard, on m'a offert un joli cadeau pour célébrer la fin de mes études universitaires. Par pur hasard, ou le destin (qui sait ?), j'avais une grande amie qui habitait à Paris. Le choix du voyage a ainsi été tranché. Je ne me suis pas renseignée, je n'ai pas eu la moindre tentation d'acheter le Routard, je n'ai pas révisé mes connaissances de la langue. J'ai vécu cet événement comme si c'était une évidence. Mon cadeau comprenait l'équivalent d'un séjour de trois mois à Paris (un cancre qui réussit à finir ses études universitaires doit être largement récompensé). J'ai vécu ces quelques jours de préparation du voyage avec un tel détachement, que l'on aurait alors pu croire que cela m'intéressait peu au prou. 
 
En vérité, ce soi-disant détachement était le déguisement d'un sentiment (indécent) de réussite. Il ne fallait pas que mon entourage s'aperçoive que j'étais absolument ravie de les quitter.
Dans le taxi parisien qui me conduisait dans le 20ème, chez mon hôte, la conclusion que j'avais franchi le seuil d'une existence pour en vivre une autre à Paris avait l'air d'une libération. Non pas que ma vie précédente avait été désagréable ou dépourvue d’intérêt. Elle était juste bougrement prévisible. Je connaissais tous les codes, les limitations, les possibilités. Pour mes amis et pour moi, partir était le luxe absolu. On voulait voir ce qu'il y avait de l'autre côté du miroir. 

On était tous des Holden Caulfield rêvant d'une vie d'aventures et de débauche. Devenir le personnage d'un roman incroyable écrit par soi, faire confiance à la vie et, pourquoi pas, à la chance. Vivre l'histoire racontée dans une chanson. Faire le deuil d'un cocon aimé, mais trop connu et rangé. J'ai eu immédiatement cette ville et les gens qui en font partie dans la peau. Malgré moi, je n’arrêtai pas de comparer, de confronter les choses que je reconnaissais et celles que je découvrais. Je me répétais comme dans un mantra quelle chance j'avais d'ignorer tout ça! J'avais tout a dépister, à dénuder. 

J'ai adoré les serveurs grognons, les rames de métro ou je pouvais entendre des langues autrefois insoupçonnables. Le mot cosmopolite me paraissait trop faible pour décrire la sensation d'être au centre du monde. Je me suis laissée convaincre par tout ce que je voyais que j'étais là ou il fallait être. C'est vraiment agréable de s'estimer heureuse, bénie par les dieux. De se dire que l'on est exactement où on veut être, dans son paradis émotionnel. Et bla, bla, bla...

Tout était projection, mais les sentiments de satisfaction étaient fort réel. J'ai découvert que l'on pouvait aimer un endroit comme on aime quelqu'un. Je me suis dit que j'allais me reprogrammer et redevenir celle que j'aurais voulu tant être. Je ne me suis jamais raconté tant de belles histoires. Il y avait chez moi une note méconnue jusqu'alors, qui a sonné, et cette note a libéré quelque chose qui me suffoquait. La beauté de cette ville, la même beauté tant négligée par ceux qui y habitent. Voilà tout. 
 
Hélas, j'ai l'impression que dans ce monde ô combien moraliste, ce serait immoral d'affirmer que oui, on peut changer de continent, de pays, de ville, d'entourage, en laissant derrière soi famille, amis et plans de carrière simplement pour la beauté d'une ville. Parce qu'on a élu un ville endroit de prédilection. Et parce que le monde devrait être comme ça, les portes et les fenêtres grandes ouvertes...mais là je m'égare définitivement.

jeudi 25 octobre 2012

De près, personne n'est vraiment normal


Avant de travailler comme femme de ménage, D. a bossé dans le textile. Elle aimait bien coudre, mais son dos n'était pas du même avis. D., qui était dotée d'une sagesse innée, n'était pas du genre à dissocier le corps de l'esprit. Elle a donc fini par se plier naturellement aux exigences de son corps.
Elle a ainsi commencé à travailler chez madame M. alors que la fille cadette de cette dernière devait bientôt accoucher. Depuis, dix-sept années se sont écoulées et D. travaille toujours au même endroit. Bien qu'elle ait arrêté ses études vers l'âge de 14 ans, et qu'elle n'ait pas de diplôme universitaire, n'importe quel savant pourrait jurer que D. possède un doctorat en psychologie familiale. Elle en a vu et entendu chez sa patronne...Au fil des années elle est devenue indispensable et inoubliable. La fille de madame M. - qui depuis, habite de l'autre coté du globe - regrette sa présence, sa gentillesse, son écoute et, plus que tout, sa cuisine.

* * *

Dans l'imposant édifice résidentiel de 30 étages du centre ville, les gardiens et gardiennes formaient une bande à part. Ils étaient cinq : le plus jeune avait 27 ans et le doyen 74. Il y avait chez chacun d'eux une politesse naturelle qui frôlait le snobisme. Ils avaient un léger penchant pour les commérages, mais c'était une déformation professionnelle. Ils n'étaient pas plus caricaturaux que Pierre, Paul, ou Jacques, car comme disait Caetano Veloso, « de près, personne n'est vraiment normal ». Le plus âgé était charmant et assez élégant, les deux dames un peu quelconques, le plus jeune d'entre eux un très bon peintre, et le dernier un tantinet inquiétant à cause de son strabisme particulièrement marqué. Grâce à eux la correspondance était à jour, les copropriétaires ou locataires ne connaissaient pas des problèmes de clefs, et quand les résidents abusaient de l’alcool, ils savaient d’emblée que le lendemain tout les voisins seraient au courant. L'immeuble a connu son quart d'heure de célébrité quand l'un des comptables de la Mairie, (copropriétaire exemplaire, soit dit en passant) a été accusée de détournement de fonds. Si au départ, l’intérêt porté par la presse enchante nos amis gardiens, il devient trop intrusif au bout de quelques semaines. Le doyen décide, avec le soutien inconditionnel du syndic, d’empêcher la presse d'accéder aux locaux. Ce n'était pas beau à voir l'homme si distingué sortir de ses gonds. On l’appelle depuis, l’Incroyable Monsieur Hulk. 

* * *

Il y avait ce lycée qui avait la réputation de ne jamais faire redoubler les élèves. Ceux qui étudiaient ailleurs et qui avaient des mauvaises notes déménageaient avant que le problème ne soit irréversible. C'était un aveu d'échec, bien entendu, même si ce lycée représentait dans l’imaginaire adolescent le dernier bastion pour rebelles. L'humiliation de faire appel à ce genre de secours était, par conséquent, mêlée à un certain sentiment d'aventure. A son premier jour de cours, Le Nouvel Élève fut foudroyé par une crise de timidité aiguë. Sa classe lui faisait davantage penser à un zoo, car il y avait quelque chose d'animal avec toute cette testostérone et ces hormones. Il y avait aussi les cris de la foule et les rires. La classe était composée d'une trentaine d'élèves décomplexés et désintéressés. À l'évidence, ils ne voulaient pas rattraper quoi que ce soit, mais simplement exister et garantir, si possible, une certaine place dans un palmarès social difficile à cerner. Le Nouvel Élève essayait par instinct de survie d'avoir l'air cool et détaché quand tout à coup un pet retentit de manière ostensible. Celui que l'on nommait Dorival fut gentiment attaqué par ses camarades. Encore une fois, Dorival ? Mais t'as bouffé un rat mort ou quoi? Dorival, enfin, arrête toi un peu ! » Une réaction en chaîne s'en suivit, les gens s'excitaient de plus en plus, et désormais, toute la classe s'adressait à lui.
Dorival qui avait une classe internationale malgré ses oreilles décollées, et qui était l'incarnation même (beaucoup plus que Mitterrand) de la force tranquille, souriait avec douceur. Il ne nia ni acquiesça pour autant. La situation imposait un certain respect, car il faisait face à tout ses camarades déchaînés...
Dorival demeure, malgré les années écoulées, l'un des héros du Nouvel Élève. Il renonça à la tentation de corriger ses oreilles beaucoup trop décollées, lors de la vague de chirurgie esthétique qui eut lieu dans les années 2000. Il est resté tel qu'il était et c'est d'une classe absolue.

lundi 24 septembre 2012

Éloge de la saudade 





Dans les multiples langues employées par l'homme (les linguistes sont d'accord sur le nombre 6000) il existe des mots magiques qui traduisent avec maestria des sentiments, des situations, des images, des attitudes qui peuvent être très difficiles à décrire. 

Et il y a les chasseurs des dits mots. De drôles d’oiseaux qui aiment avec fidélité aller fouiller dans toute une panoplie littéraire le mot exact, parfait, rond. Et, si possible, poétique.
Si toutefois j'adhère à une telle quête, j'admets que je n'arrive que rarement à me sortir d'affaire honorablement. Mais il y en a qui y parviennent très bien. Pire, il y a ceux qui arrivent à le faire en jonglant dans plusieurs langues. Ainsi, pour s'exprimer de manière idéale, on aurait le droit de commencer une phrase en français et la finir en néo zélandais. On passerait d'un swing à l'autre, de la constellation verbale anglaise à la française et ainsi de suite (quoique pour une telle prouesse il faudrait d'abord être sacrément polyglotte. Déjà qu'on a un mal fou à parler correctement sa propre langue...) Mais (et il y a presque toujours un mais) si on cherche bien, on peut presque toujours trouver un mot parfait dans une seule et même langue. L'un d'entre eux est saudade. C'est un mot infini. 

Esthétiquement et phonétiquement sublime. Mais c'est dans sa puissance émotive qu'il excelle. Il peut donc être doux, suave, moelleux et incisif, profond, cruel, fatal. Il peut demeurer calme, sous contrôle, mais une fois que la saudade se déchaîne, elle peut faire de ravages. La saudade est une force de la nature, telle un volcan, un rez de marée, une tornade. Elle ne désigne pas seulement le manque de quelqu'un, de quelque chose ou d'un endroit. Elle est d'un tout autre ordre. C'est un contentement d'être triste dans le manque, sans en être pour autant masochiste.

 La saudade a été toujours conçue par et dans la beauté. Elle peut naître dans ces moments où l'on se reconnaît en quelque chose, ou en quelqu'un. On peut la sentir proche quand on lit Rilke ou Pessoa pour la première fois. Elle peut aussi se manifester lors d'un premier voyage au Vieux Monde. Ou quand on se rend compte de la puissance de la nature et on essaye de sauver une libellule minuscule (qu'on confond d'ailleurs avec un frelon) qui va se noyer dans un lagon, car elle a son aile cassée. Si la saudade était un genre musical elle ne serait pas le fado mais la bossa nova, car sa mélancolie est solaire avant tout. C'est n'est pas simplement de l'identification, c'est aussi de l’appartenance. Et on en pleure, mais ce n'est pas si désespérant, c'est juste déchirant de beauté. 

La saudade c'est aussi quand on souhaite de toutes nos forces devenir le personnage d'un livre que nous aimons et qui a été, (c'est certain) écrit pour nous. Où quand on est jeune ado, dans la salle de cinéma, la magie s’opère et en sortant de la séance on est fou amoureux du personnage principal. C'est aussi quand on tombe en amour, et malgré toute la radicalité sans concession de ce sentiment, on sait qu'on se décevra mutuellement, mais que pour rien au monde on s'en passerait. Quand on quitte un pays parce qu'on a envie d'ailleurs, qu'il ne nous manque absolument pas à un tel point que ça frôle l’indifférence, jusqu'au moment ou dans une supérette déprimante on entend une chanson qui nous fait plier, parce que nous venons de comprendre que l'on vient de quelque part quand même et que ce n'est pas négligeable. 

Et on revoit des visages aimés auparavant, on sent des parfums jusque là oubliés, et la saudade se met en route, vorace et avec une efficacité à toute épreuve elle fait son travail. Elle nous raconte beaucoup sur nous même, et il n'est jamais question d'une vague nostalgie sépia, ce ne sont pas d'ailleurs des souvenirs, c'est sont des retrouvailles avec soit même. Et comme il s'agit d'un mot si sophistiqué, il est aussi paradoxal, car il est parfait pour décrire un sentiment, indescriptible, inénarrable, infini.

mardi 12 juin 2012

Expéditeur: Dani Legras, Destinataire: Cher Vous




Oh que la la vie est mal faite, il suffit de regarder autour de soi !
On n'arrête plus d'évoquer, d'anticiper, d’imaginer la catastrophe imminente, voire apocalyptique autour d'une possible disparition du livre au profit du Kindle ou de l'Ipad. Quelques intellectuels, éditeurs et lecteurs annoncent déjà l'extinction de l'objet. Des litres d'encre coulée, de salive gaspillée, de peur et d'angoisse chez les uns et les autres. Le monde littéraire tremble, mais le silence est abyssal en ce que concerne la disparition de la lettre. Je ne parle pas du genre épistolaire, car nous continuerons à lire la correspondance de ceux qui nous fascinent. En revanche, camarades, je ne vois aucune larme versée - même pas une légère nostalgie – pour celle qui a été l'un des personnages centraux des siècles précédents : la lettre.

Si, si ! Les mêmes qui ont jadis annoncé la découverte de nouveaux continents, celles qui ont nourri des amours impossibles, qui ont rapproché de distantes amitiés, qui ont attisé les rivaux ou allumé des échanges intellectuels et politiques qui ont pu nous inspirer. Avant que le télégraphe soit inventé vers 1835, la lettre était la surface, le support et le témoin même, si j'ose dire, de tous les événements qui se déployaient.
Indispensable pour le bon déroulement du monde, exercice intellectuel dans lequel certains ont excellé, rédiger une lettre pouvait être l'occasion pour celui qui dominait l'écriture de devenir narrateur, auteur et protagoniste d'une situation X dans un contexte Y. 
 
Je vous rassure cher lecteur, je ne prétends aucunement tomber dans la nostalgie facile en faisant appel au discours du « c'était mieux avant ». Je ne vais pas vous mentir en disant que je préfère envoyer des lettres à mes amis du Brésil puis attendre trois semaines pour qu'elles leur parviennent.
Et j'avoue que ma routine, comme celle de tout le monde, s'organise à peu près correctement grâce aux technologies qui nous sont disponibles. Je peux ainsi recevoir des liens envoyés par ma mère avec des photos où les miens racontent comme la vie loin de moi est intolérable. Ou encore des photos de ma fille pendant ses vacances, ou j’apprends ses « news » accompagnées de clichés parfaitement retravaillés sur Instagram.

N’empêche. Tout ça est bien beau, mais infiniment moins poétique que la correspondance échangée par Monsieur Kappus et Rainer Maria Rilke. Sans parler des 23.650 lettre d'amour envoyées au long de toute une vie entre Victor Hugo (Toto pour les intimes) et Juliette Drouet.
Vous imaginez la ferveur et le contenu des échanges épistolaires existants entre Freud et Stefan Zweig ? Sans parler des lettres historiques, de guerre, d’espionnage, et j'en passe.

Mais celui qui a le plus souffert de la disparition de la lettre ce n'étaient ni l'amitié, ni l'amour, ni la politique. C'était le facteur. Ce personnage sympathique qui, dans sa période d'or, faisait office de cupidon, pompier, ou encore infirmier, aujourd'hui se voit relégué au poste de simple passeur grâce auquel les factures et les pubs de Planet Sushi nous parviennent. Cette innocence qui entourait l’image du facteur n'est plus de notre siècle. C'est trop daté, comme un personnage de Jacques Tati qui vient nous rendre un billet écrit à la main par quelqu'un d'autre. Mais comme c'était beau, ça mérite d'être rappelé. 

 C'est pour ça, camarades, que je propose que dans chaque ville soit fait un petit monument à la mémoire du Facteur Inconnu. Ça a de la gueule, non ? Et de cette façon, peut être pourrions-nous de temps en temps, juste pour se faire plaisir, sortir le stylo à plume, prendre son temps et destiner nos plus beaux mots à quelqu'un. Pour ensuite - et c'est là où ça se corse - aller poster la lettre et attendre fiévreusement (c'est optionnel) que la réponse et le facteur arrivent le plus vite possible.

mercredi 4 avril 2012

Quelques considérations (encore et encore) à propos du foot!




Ah, le football ! Etérnel sujet de conversation. Quand je pense que pendant longtemps la brésilienne que je suis restait de marbre face au sort de notre Seleção et de ses héros. Car, tous les dimanche soir, le foot s'invitait à la maison, avec les sempiternels matchs de championnat, les buts, les acrobaties des joueurs. Et l'enfant que j'étais ne pouvait pas s'empêcher de faire l'étrange association entre la fin du week-end, le football et le lundi - haï de tous.

Jusqu'au jour où une espèce de magie s'est operée en moi. Alors, pour la première fois, j'ai ressenti cet élan qui serre le cœur de chaque supporteur, qui nous donne la sensation d'être plus grands, plus nobles et plus forts. C'était pendant la coupe du monde 82, nous étions vus comme les prochains champions du monde. Nos prestations était si belles à voir. Surtout celle contre l'Argentine de Maradona. L'ambiance au Brésil était impossible à décrire. L'enthousiasme était palpable. Enfin... ça c'était jusqu'au moment où tous nos espoirs soient  balayés par l'Italie. L'Italie qui pourtant, cette année là, n'avait aucune grâce, aucune poésie. C'était mon premier grand chagrin sportif (sans compter bien entendu l'accident qui à tué Ayrton Senna).

Au Brésil, essayer de comprendre la passion provoquée par le football est, elle aussi, une passion nationale. Un exercice de style.  Des poètes, des musiciens, des spécialistes, des artistes se sont aventurés sur ce terrain. On raconte l'amour que l'on ressent quand il est question de la Coupe du Monde et que pour la enième fois la Seleçao est  perçue comme favorite. On raconte que cette fois-ci (oh, là, là) on a un bon technicien, on maitrise la situation, nous avons les meilleurs joueurs, le plus beau style du monde, le swing, la gouaille et puis Dieu est brésilien, c'est connu.

C'est certes grotesque, mais aussi touchant de voir à quel point on essaye de se rassurer, car pour une fois, nous sommes vraiment fiers d'être brésiliens. Nous qui avons dans notre ADN l'amour propre si petit et le syndrome du pays de l'avenir (« le jour viendra où nous serons enfin une grande nation »), nous qui comptabilisons les plus grands craques de l'histoire du football : Heleno de Freitas, Garrincha, Pelé, Tostao, Zico, Socrates, Rai, Ronaldo(s)... la liste est longue.

Au fil des années, des coupes du mondes, des matchs arrosés à la bière et des churrascos, j'ai compris l'évidence, celle qui saute vraiment aux yeux. Il ne s'agit pas de football, ni de ballon, ni de technique. Il s'agit d'être bon dans un domaine, plus que ça même... d'être BEAU. Le football brésilien se prend quelque part pour une sorte d'illuminé chargé d'apporter un peu de beauté dans ce vaste monde. La beauté du geste, de la passe, de la fidelité des supporteurs, des matchs légendaires qui sont racontés de génération en génération. La mythologie du football a été crée pour nous rendre moins misérables, plus honorables. Voilà de quoi est fait (entre autres choses mois gracieuses) le football brésilien. Et si je me laisse emporter comme ça, c'est simplement parce que je suis une supportrice brésilienne lambda ! Ça fait aussi partie de notre ADN.